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Bleu, saignant ou à point : la Mission Locale du 3ème type c’est pour quand ?

 

Célia Verot, conseillère d’Etat, et Antoine Dulin, vice-président du Conseil économique, social et environnemental, viennent de remettre (mars 2017) au Premier ministre un rapport, Arrêtons de les mettre dans des cases. Pour un choc de simplification en faveur de la jeunesse.

Voici un document très intéressant… et copieux (180 pages), ce qui se justifie au regard du sujet même si l’on peut s’interroger sur les possibilités des acteurs de terrain de prendre connaissance de tous ces rapports qui nourrissent la réflexion sur la politique jeunesse. Ainsi, en quelques mois, on aura pu ou on aurait du lire…

– L’accès des jeunes à l’emploi. Construire des parcours, adapter les aides, Cour des Comptes (septembre 2016, 145 p.).

– La Garantie Jeunes en action, rapport de recherche du Centre d’études de l’emploi et du travail (novembre 2016, 133 p.)

– Rapport sur le modèle économique des missions locales pour l’insertion professionnelle et sociale des jeunes, Inspection générale des affaires sociales (novembre 2016, 2 tomes, 230 p.)

– Place des jeunes dans les territoires ruraux, Conseil économique, social et environnemental (janvier 2017, 198 p.)

Soit, en agrégeant ces rapports et sans même y ajouter les circulaires (celle du Pacea par la DGEFP, également copieuse), presque 900 pages ! Quels professionnels sont en capacité d’absorber toute cette matière alors que, pourtant, dès « conseillers niveau 1 », la compétence « assurer une veille sur l’activité d’insertion » est exigée (« exercée, maîtrisée ») ? Le temps de la documentation et de la réflexion n’est jamais, sauf très rares exceptions, inscrit sur les plannings… donc ne se fait pas ou au gré des volontés individuelles… ce qui produit des conseillers informés et d’autres non et qui, subséquemment, impacte le critère d’égalité de traitement.

Après tout, si ces rapports n’étaient destinés qu’à justifier l’activité des instances qui les produisent on ne s’en inquièterait pas… mais force est de constater que, hormis des redondances quant aux données socioéconomiques et démographiques de cadrage, chaque rapport apporte sa part d’intelligence, d’imagination et de construction pour l’évolution de la politique d’insertion, plus généralement d’une politique jeunesse qui peine à trouver sa boussole.

 

On trouve cette part, conséquente, d’intelligence dans ce dernier rapport Arrêtons de les mettre dans des cases… Extraits (en gras par nos soins) :

« A moyen terme et pour rendre effectif cette coordination, des évolutions devront être apportées pour faire des missions locales de véritables pôles jeunesse… » (p. 6)

« La jeunesse a été trop longtemps l’angle mort de politiques publiques et perçu comme un « problème à régler » et non comme un parcours d’autonomisation et l’émancipation. Empiler les barrières d’âge et de statuts, multiplier les dispositifs en excluant trop souvent les jeunes du droit commun, mettre en concurrence des acteurs publics ou associatifs sur les territoires sont le résultat des politiques publiques définies bien souvent en silos et d’en haut plutôt que de partir des besoins de la personne, globalement envisagés, et de l’expérience des acteur de terrains. » (p. 88)

« Trop longtemps, l’absence d’une politique transversale, véritablement interministérielle appréhendant les jeunes dans leur globalité, d’institutions et de collectivités chargées de porter cette compétence au niveau national et territorial, ont conduit à des actions en faveur des jeunes aussi fragmentées que foisonnantes. » (p. 88)

« Les politiques de jeunesse restent cependant rattachées soit à l’Education nationale, soit au sport et à la vie associative, sans prendre véritablement en compte la transversalité des problématiques concernant les jeunes, et sans donner à cette politique publique sa centralité. » (p. 89)

« Au niveau local, il n’existe pas de compétence reconnue et définie concernant les politiques de jeunesse. Une circulaire d’application de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), qui a clarifié les compétences décentralisées entre les niveaux de collectivités, liste les compétences obligatoires, facultatives et de chef de file des régions, conseils départementaux et des communes : la jeunesse ne figure nulle part, à la différence du tourisme, des ports, de l’aménagement rural, mais aussi de la petite enfance ou du vieillissement, etc. qui constituent des compétences à part entière pour les collectivités territoriales. » (p. 88)

« En pratique, la politique jeunesse a longtemps été à l’initiative de collectivités locales volontaires créant ainsi une disparité en fonction des territoires. Elle a été soit associée aux temps libres : éducation populaire, sport soit associée à la politique de la ville, dans une logique de contractualisation et d’un regard « négatif » porté sur les jeunes. Seuls les départements ont une obligation de prises en charge des jeunes par la protection de l’enfance jusqu’à 18 ans (compétence obligatoire) et jusqu’à 21 ans (compétence facultative). Si les intercommunalités jouent un rôle croissant en matière d’habitat et de logement et vis-à-vis des jeunes enfants et pré-adolescents, les interventions des communes restent pour leur part encore limitées, comme le rappelle un avis récent du Conseil économique, social et environnemental. » (p. 89)

« Les politiques d’accompagnement destinées à la jeunesse sont mises en œuvre par une multitude d’acteurs parce qu’elles prennent en compte de nombreuses problématiques (emploi mais également santé, logement, formation, mobilités etc.). Aux acteurs institutionnels de droit commun, à l’instar du réseau des caisses d’allocation familiale ou de Pôle emploi, viennent s’ajouter les acteurs spécifiques aux politiques de jeunesse. C’est par exemple le cas, depuis 1982, des missions locales pour l’insertion sociale et professionnelle des jeunes. Le paysage institutionnel est également structuré par les acteurs en charge de l’information jeunesse que sont les Points ou Bureaux Information Jeunesse, par des acteurs du monde de la santé (points accueil écoute jeunes, maisons des adolescents…), par celui de la formation initiale et continue, par les acteurs de l’orientation (centres d’information et d’orientation, services universitaire d’information et d’orientation …). » (p. 90)

« Nos travaux sont venus confirmer le constat de l’absence de coordination entre les différents acteurs de l’accompagnement des jeunes, déjà souligné depuis longtemps. » (p. 93)

« Le fonctionnement en silo des différentes structures se traduit par une information parcellaire délivrée aux jeunes quant aux dispositifs qui leur sont ouvert, tout simplement parce que les intervenants n’ont eux-mêmes pas une connaissance complète des dispositifs existants portés par d’autres. » (p. 94)

« Ce cloisonnement conduit également à une concurrence entre dispositifs {…} La concurrence, induite notamment par les méthodes de financement retenues qui privilégient l’atteinte par les structures concernées d’objectifs quantitatifs {…} Le monde économique a d’ailleurs souvent été considéré comme le « grand oublié » de l’accompagnement. Si l’offre de service aux employeurs s’est développée à la suite du déploiement des emplois d’avenir et de la Garantie jeunes, elle reste à renforcer. » (p. 94)

« Mais le foisonnement des instances ou des conventions de coordination, que la Cour des comptes a récemment souligné, est en soi un problème. La création d’une instance ou la signature d’un document constitue souvent une coquille vide que l’on ne fait pas vivre dans la durée, un patch masquant l’absence d’identification d’un acteur pivot, ou l’absence de choix d’un niveau territorial de coordination pertinent (stratégique comme opérationnel). Enfin les sujets eux-mêmes sont envisagés de manière cloisonnée, l’emploi, la formation ou le décrochage scolaire étant par exemple traités séparément, alors qu’il existe un continuum fondamental, sur le plan stratégique et opérationnel, entre les enjeux du développement économique, de la formation des jeunes et des chômeurs, de l’accompagnement de ceux-ci vers l’emploi et des « freins périphériques » à l’emploi (logement, mobilité, garde d’enfants etc.). {…} En réalité, la coordination est bien pratiquée sur le terrain, mais repose fondamentalement sur les relations interpersonnelles des professionnels des différentes structures, sur le « coup de fil » qui va permettre de trouver une solution à un jeune. Cette débrouille permanente est, de l’aveu des professionnels concernés, particulièrement chronophage et énergivore à créer et à maintenir. Surtout, elle est fondamentalement fragile : la rotation des personnels, l’alternance des exécutifs locaux détruit régulièrement les liens noués et les actions patiemment construites. » (p. 95)

« Le diagnostic mené a ainsi mis en évidence la nécessité de renforcer le travail de partenariat entre les acteurs locaux, de disposer de lieux biens identifiés et de mieux associer les jeunes dans la mise en œuvre des actions les concernant. A partir de ce diagnostic, le projet cherche désormais à mieux organiser les parcours de jeunes sur le territoire pour renforcer leur autonomie et « rendre les jeunes acteurs sur le territoire ». (p. 100)

« La dynamique de coordination ne pourra se faire qu’avec l’établissement d’un diagnostic complet du territoire sur la situation des jeunes, les acteurs de l’accompagnement mobilisés, les perspectives de développement économique … Diagnostic qui pourra servir de base à la stratégie territoriale et qui devra régulièrement être réévalué.

Celui-ci pourra être confié à un acteur du territoire comme les missions locales qui réalisent régulièrement un diagnostic de la situation des jeunes et de leur territoire notamment dans le cadre de la préparation du dialogue de gestion ou dans la perspective de leur partenariat renforcé avec Pôle Emploi. Ce diagnostic reprend les éléments essentiels permettant de caractériser le territoire : caractéristiques démographiques du territoire, caractéristiques plus précises sur les jeunes et leurs difficultés sociales, de mobilité et importance du décrochage scolaire, situation de l’emploi, données complémentaires sur le tissu productif, offre de formation, attentes et les besoins formulés par les jeunes et les entreprises, ressources spécifiques du territoire, de ses habitants et des acteurs économiques, interactions structurant le système acteur local ou encore potentiels de réponses du territoire concerné et services. » (p. 102)

« La participation des usagers à la définition et à l’évaluation de l’offre proposée est faible pour ne pas dire inexistante. Par exemple, les structures d’accompagnement que nous avons rencontrées (missions locales, CCAS, CIO…) n’ont pas de comité d’usagers, ni même d’instance de participation ou de consultation. A part Pôle Emploi au niveau national, peu d’entre elles avaient réalisé des enquêtes de satisfaction. Les raisons de la non-participation des jeunes sont complexes mais des efforts semblent possibles pour faire vivre la participation dans les structures comme par exemple un comité jeunes dans le conseil d’administration des missions locales, ou a minima recueillir le point de vue des jeunes sur ce qui leur est proposé. » (p. 111)

« Recommandation n°33 : Transformer les missions locales pour en faire des « pôles jeunesse » en y intégrant le réseau information jeunesse[1]. Le constat d’un trop grand nombre d’acteurs jeunesse qui agissent sur des périmètres proches voire identiques impose un effort de rationalisation. Il doit être ainsi envisagé la création d’un service public de l’information, de l’orientation et de l’accompagnement des jeunes par le regroupement des acteurs concernés: missions locales, réseau information jeunesse porté par les collectivités locales…

Il ne s’agit pas d’aboutir à une dispersion de l’activité des missions locales, l’information au détriment de l’accompagnement socioprofessionnel mais bien d’en faire un acteur pivot identifié par les jeunes. Leur rôle serait d’être à la fois la porte d’entrée pour délivrer une information généraliste à tous les jeunes de 16 à 30 ans et les orienter ensuite vers la structure d’accompagnement la plus adéquate en fonction de leurs besoins. La mission d’accompagnement global pour l’insertion sociale et professionnelle des jeunes sera pérennisée en partenariat avec Pôle Emploi et les autres acteurs du service public de l’emploi. Le développement des relations avec les acteurs économiques (chambres consulaires, entreprises, etc.) devra être renforcé. » (p. 112).

Ingénierie partenariale et de projet, systématisation (pour ne pas dire obligation) de conseils consultatifs jeunes, diagnostics socioéconomiques de territoire, décloisonnement de l’offre de service pour une cohérence avec l’approche globale et systémique, bricolage, implication des collectivités … particulièrement dans les DOM comme à Mayotte, aux Antilles[2] ou en Guyane, le choix maintenu d’un GIP (groupement d’intérêt public) pour la Mission locale de Guyane étant absurde puisque ce statut implique un commissaire du gouvernement, représentant l’Etat, qui est le vrai décideur et qui démobilise les élus locaux…
Toutes ces thématiques, si elles étaient connues des professionnels et des administrateurs, débattues, contextualisées, pourraient germer et construire la Mission locale du 3ème type que nous appelons de nos vœux, avec bien d’autres acteurs. C’est pour quand ?

 

Philippe LABBE

 

[1] Une des propositions de notre récent rapport sur la Mission locale de Mayotte (février 2017)

[2] P. Labbé « Pourquoi les communes se désintéressent-elles à ce point de l’insertion de leurs jeunes ? », France Antilles, 17 novembre 2011.